Poème de Gilbert
À
un Amour
Elle se sentit lasse tout d'un coup. Le froid, dehors, n'invitait pas à la sortie et, de toute façon, elle n'en avait pas envie.
À part les quelques collègues qu'elle retrouvait à son travail, son entourage d'amis était limité.Évidemment, de temps à autre, un voisin venait l'inviter au cinéma, mais à force, elle ne supportait plus sa présence, ses avances empressées et sa maladresse.
Il ne parlait que pour lui et ne l'écoutait jamais.
Une déception sentimentale était à l'origine de sa solitude et de son manque de goût pour les sorties.Pourtant elle aurait aimé, comme tout le monde, qu'on la comprenne, qu'on lui apporte un peu de fantaisie, qu'on lui fasse oublier la fatigue de son travail, qu'on la fasse rire.
Elle aimait bien rire, mais n'avait pas rit depuis longtemps de bon coeur. Elle rêvait et se disait que ce qui la faisait rêver était inaccessible. L'idéalisme qui l'habitait n'était partagé par personne et quelquefois même certains avaient tendance à en rire lorsqu'elle s'y confiait.Un homme, un seul, qui l'aurait fait rêver aurait conquis son coeur.
Elle essayait de temps en temps de se convaincre que tout ceci n'existait pas afin de paraître forte, mais cela ne durait pas longtemps.
Alors seule, chez elle, imaginait de nouvelles phrases qu'elle pourrait inclure dans le site Internet qu'elle avait construit sous son nom afin de partager avec d'autres ses idéaux, comme un cri qu'elle lançait au hasard dans l'espoir d'en avoir un écho. Mais le seul écho qui en résultait était celui de sa propre voix qui lui revenait peu à peu. Un peu comme une bouteille lancée à la mer et qui lui reviendrait poussée par le reflux des vagues.
Pourtant, lorsqu'une amie ou un ami avait de la peine, elle les consolait en trouvant les mots qui lui semblaient justes, sachant les convaincre que la vie était belle et que tout pouvait s'arranger.
Seuls les autres en étaient convaincus.
De temps en temps elle partageait de chez elle, sur son ordinateur, des conversations avec des inconnus, pour le plaisir de s'exprimer et de partager ses goûts, ses expériences, ses sentiments, peut-être même dans le secret espoir d'y trouver l'interlocuteur qui l'aurait comprise. Le même scénario se répétait chaque fois et chaque fois une déception supplémentaire s'ajoutait aux autres.
Néanmoins, comme si elle ne voulait rien négliger, elle ne pouvait s'empêcher de consulter sa boîte aux lettres électronique chaque jour afin, peut-être, d'y trouver un message différent des autres, un message pour elle. Pour elle toute seule.
Ce jour, comme beaucoup d'autres, elle consulta sa messagerie. Ce n'était pas un message d'espoir pour elle, encore moins un message optimiste. C'était même le contraire. Elle n'avait pourtant pas besoin d'une plainte... pourtant c'en était une.
Et quelle plainte ! Un homme avait osé, après avoir vu son site, lui écrire ses malheurs ! Pourquoi l'avait-il fait ? Pourquoi s'adressait-il à elle ? Elle lut cette lettre emprunt d'un grand désespoir. Il venait d'être quitté par la femme qu'il aimait sans aucune raison. Son émotion face à ce désarroi l'attendrit. Voulant lui porter secours, elle n'hésita pas à lui répondre et à le réconforter comme elle savait si bien le faire.
D'autres jours, d'autres messages, et un lien qu'elle ne savait définir au fil de ces lectures se consolidaient avec cet homme car elle le plaignait et le comprenait. Les mots qu'il employait pour définir son désarroi étaient inhabituels, dictés par la passion de son amour perdu. Aussi n'hésita-t-elle pas à l'inviter à une conversation en temps réel sur son ordinateur afin de mieux cerner ce personnage qui, a priori, possédait aussi comme elle la passion et le rêve.
Elle le trouva confiant, gentil, malheureux mais gentil, incarnant la souffrance, sensible comme elle, mais il fallait qu'elle se montre forte, rassurante, convaincante afin que renaisse en lui l'espoir. Elle comprit aussi au fil de la conversation que son amour était à jamais perdu pour lui. À partir de cet instant, elle décida sans réfléchir qu'il fallait réussir à le ramener dans un monde où l'espoir renaîtrait en lui. Dans son Monde à elle car c'était celui qu'elle connaissait le mieux, et pour lequel elle vivait. Elle découvrit petit à petit en lui la sensibilité des sentiments qu'elle possédait, et elle en fut touchée. Elle sut à ce moment que tout était gagné pour lui. Elle réussirait.
Mais elle donnait beaucoup pour le convaincre, tout ce qu'elle put, se confia même afin d'étayer des expériences similaires qu'elle avait vécues. Cela lui permettait aussi de se livrer un peu, pour qu'il puisse aussi la comprendre. Et il lui sembla qu'il comprît. Le bonheur montait en elle lorsqu'il reprenait vie, mais avait conscience aussi qu'une fois rétabli dans son moral elle ne le reverrait peut-être plus. Pourtant il tenait à d'autres conversations. Elle reprit donc d'autres rendez-vous par la même méthode.
Au fil de ces dialogues, elle pensait de plus en plus à cet être qui l'intéressait et qui petit à petit se rapprochait d'elle comme attiré par sa personnalité, toute faite de gentillesse, de bienveillance et de confiance. Ces qualités qui lui étaient naturelles, elle les avaient montrées sans calcul, car il en avait besoin. Elle prit conscience à un moment qu'elle avait autant besoin de ses paroles que lui des siennes. Son émotion se fit plus dense alors, car maintenant, presque involontairement, il lui faisait la cour et cela lui plut beaucoup, témoignant du ménagement et de l'attention de ceux qu'on attend d'un homme amoureux ! Le résultat avait dépassé ses espérances et elle se laissa prendre au jeu au point que ses sens réagissaient à ces mots d'amour à peine dissimulés. Son émotion se fit plus forte et elle se demanda si elle n'était pas un peu amoureuse ! Un peu, mais pourquoi pas beaucoup ?
Maintenant, elle voudrait lui faire l'amour, le rendre plus heureux encore, le prendre dans ses bras. Il lui avait dit JE T'AIME.
Depuis il ne cesse de lui répéter.
JE T'AIME.
GILBERT